Le décortiqueur
Il lui fallait toujours aller au fond des choses au risque de ne plus pouvoir remonter à la surface, mais en ce moment il devait avouer qu’il allait mieux. Il avait trouvé un « modus vivendi » avec son chef de bureau ; il ne souffrait presque plus de solitude, à vrai dire il en avait pris son parti ; ses angoisses diminuaient - il ne prenait plus de deroxat, sauf un demi-comprimé de temps à autre ; son chat avait repris du poil de la bête après sa petite « dépression » - c’est le mot que le vétérinaire avait mis sur sa maladie de l’été dernier ; le fils des voisins du dessus ne jouait plus de guitare électrique après 22 heures 30 – il faut dire qu’il s’était acharné sur le plafond à coups de balai ; sa mère ne le harcelait plus au téléphone – il est vrai qu’elle perdait la mémoire et ne se souvenait même plus qu’il était son fils. Oui, tout allait mieux jusqu’à hier, avant qu’il n’ouvre sa boîte aux lettres. Il y avait trouvé une petite enveloppe blanche, non timbrée, libellée à son nom. Elle contenait une lettre toute simple qui disait :
« Monsieur,
Hier, vous marchiez à grandes enjambées dans la rue des framboisiers. Je vous ai suivi parce que quelque chose m’a paru bizarre, comme si vous étiez à contretemps. Je vous laisse donc cette lettre pour que vous sachiez que quelqu’un vous suit pour éclaircir ce mystère… »