Le mousseux
Le visage rouge, la mèche grasse collée sur le front et le pantalon noir de crasse, il faisait la manche pour manger. Un alcoolique, pensa-t-elle, c’était sûr. Elle fouilla malgré tout dans son sac et lui donna ce qui traînait : un euro. Elle eut la vague sensation que c’était trop, mais elle n’allait pas chipoter tout de même.
Une heure plus tard, assise à la terrasse d’un café en train de lire son journal, elle le vit qui revenait vers le manège, titubant, la bouteille de mousseux à la main. Ah c’est trop fort se dit-elle, le toupet ! Ni une ni deux elle se leva :
- C’est à ça que servent les euros qu’on vous donne ?
- Ta gueule, répondit-il. J’ fais c’que j’veux d’mon argent !
- Quand je pense que je vous donnais ça pour manger !
- Tu m’fais chier avec ta morale à deux balles, tire-toi ou j’te casse la bouteille sur la tête !
Au moment où elle allait partir, certaine que cet ivrogne était incurable et que la prochaine fois elle ne lui donnerait rien du tout, il s’approcha d’elle et fit un rot sonore dont elle se souvenait encore. Avant de s’éloigner à grandes enjambées, elle lui cria juste :
- Connard de poivrot ! Et elle accéléra le pas pour qu’il ne puisse pas l’atteindre avec sa bouteille de mousseux...