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Presquevoix...
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23 avril 2010

Le bonheur ?

Elle détestait le métro à 9 heures : ses mines grises, ses extraterrestres aux oreilles connectées, ses odeurs, les regards qui n’en étaient pas, le bruit des roues. Alors, pour oublier, elle lisait.
Ce matin-là, elle essayait de se concentrer sur un article du Monde intitulé « Apprivoiser ses démons pour vivre sereinement », mais elle eut la sensation désagréable que le type derrière elle lisait par-dessus son épaule. Il commençait à l’agacer. Elle tenta de relire une phrase :  « Le thérapeute conseille entre autre de repérer ses ruminations récurrentes… », mais c’en était trop, il n’avait vraiment aucune éducation, il lui volait le plaisir de sa lecture. Elle ferma son journal
Aussitôt, derrière elle, on cria énervé :
- Non, attends !
Elle se retourna prête à assassiner le malotru mais il prévint l’attaque :
- Heu excuse-moi !  C’est juste qu’en ce moment, j’ai besoin d’apprivoiser mes démons.
Elle le regarda stupidement puis répondit d’une voix brusque :
- Je vous le donne cet article si vous voulez.
- Merci, c’est gentil. Mais si vous n’avez pas fini…
Elle se radoucit un peu pour ajouter :
- Je n’ai plus de démons,  alors si vous  avez besoin de soigner les vôtres gardez-le !
Il répondit juste :
- Si vous croyez que ça me sera plus utile à moi qu’à vous…
Elle lui fourra le journal dans les mains et descendit à Réaumur Sébastopol. Ce qu’elle ne vit pas, c’est que lui aussi descendit. Il la suivit à bonne distance. Il avait le temps, rien à faire de particulier ce jour-là, à part son passage obligé au Pôle Emploi. Arrivé à la surface, il respira profondément, le métro l’avait toujours oppressé. Il la vit qui marchait déjà d’un bon pas sur le boulevard. Elle tourna à droite, à gauche, puis encore à droite et s’arrêta devant un sex shop. Elle entra. Il resta à la porte.
Vingt bonnes minutes se passèrent mais elle ne ressortait toujours pas. Sans doute travaillait-elle là, pourtant elle n’en avait pas le style. Il poussa la porte et fut un peu surpris par les gadgets, même si la vitrine était éloquente. Une voix l’accueillit :
- Besoin d’apprivoiser ses démons ?
Il se tourna vers elle et répondit sans se démonter :
- J’ai fini votre journal devant le sex shop, merci, je tenais à vous le rapporter en main propre.
Elle se sentit bêtement obligée de justifier sa présence dans la boutique :
- Le sex shop ce n’est pas vraiment une vocation. J’ai un master en lettres modernes ; si je travaille ici c’est parce que je n’ai pas trouvé autre chose.
- Il vaut mieux un emploi que pas d’emploi du tout, fit-il simplement en jetant un regard sur les godemichés qu’il jugea démesurés.
Elle l’observa un instant ; grand, hirsute, le cheveux mi-long, il avait la tête d’un vieil étudiant.
- Vous voulez un café ?
Il ne se fit pas prier. Une fois assis dans l’arrière boutique il lui demanda :
- Vous avez reçu une formation spéciale pour travailler ici ?
- Bien sûr, dit-elle en plaisantant - vous voulez que je vous montre mon savoir-faire ?
Il ne sut que répondre et rougit légèrement. Il repartit en fin d’après-midi alors que les ombres menaçaient d’engloutir Paris. Trop tard pour le Pôle emploi. Le bonheur est devenu une valeur essentielle de notre société, disait l’article du Monde… Et si ce jour-là, il l’avait effleuré, le bonheur ?

Commentaires
G
Les proches ont souvent l'art et la manière de donner des coups percutants. Mais peut-être avez-vous interprété, au fait ?
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L
Une Tante éloignée m a demandé un jour ma profession:Pour ne pas entrer dans des détails compliqués j ai répondu "Mécanicien", elle levé les yeux soupiré en hochant la téte.Elle pensé trop haut ,ce fut comme un coup de poignard, c est la seule fois ou j ai eu honte de ma profession.<br /> Bonne journée Latil
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G
Jolis jeux de mots.
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D
Ce texte assez coquin montre qu'une femme lettrée ne manque pas de maîtrise.<br /> <br /> Le sexe se choppe en passant la porte, forcément et indubitablement.
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G
Merci Coumarine. Il est vrai qu'il m'arrive, assez souvent, de toucher la corde cynique. C'est aussi moi, je le crains.
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