La vieille dame
Elle ponctuait toujours ses phrases par un désabusé : « Ah elle est belle la France ! ».
Il fallait se rendre à l’évidence, la France allait mal et elle irait de plus en plus mal. Tous ces vols, ces crimes, ces viols, elle ne les avait pas inventés, non ? Et tous ces fainéants qui ne voulaient plus travailler mais juste toucher des allocations chômage, ils existaient bien, non ? Et quand sa voisine de droite essayait de lui prouver par A + B que c’était pareil avant, elle lui répondait systématiquement :
- Qu’est-ce que vous en savez, vous ? Vous n’étiez même pas née ! Ça lui clouait le bec, elle n’avait jamais aimé les donneuses de leçons.
Rien ne trouvait grâce à ses yeux, pas même les vieux ! La maison de retraite ? Jamais ! Hurlait-elle quand sa fille lui en touchait deux mots, juste pour l’habituer. Il n’était pas venu le jour où elle supporterait des grabataires bavant dans leur fauteuil roulant en attendant qu’on les pousse dans leur chambre. Jamais, plutôt mourir.
Elle vivait seule. Son mari n’avait pas renouvelé son bail terrestre après sa dernière hémorragie cérébrale ; mais à vrai dire, il ne lui manquait pas, sauf quand elle se cherchait un bouc émissaire. Son mari avait été un merveilleux bouc émissaire. C’est peut-être pour ça qu’elle l’avait épousé…
Quant aux autres, elle n’en avait pas besoin. Elle avait suffisamment à faire avec elle. « Mieux vaut être seule que mal accompagnée ! », se plaisait-elle à répéter à qui voulait la convaincre de voir du monde. Un jour, elle répondit même à sa voisine de droite, qui d’ailleurs cessa toute visite à partir de ce jour-là :
- Les autres je m’en fous, il y a que moi qui m’intéresse.
* texte écrit dans le cadre de l’atelier des « impromptus littéraires »