Le jogging
Mercredi dernier, comme tous les mercredis je suis partie courir en forêt. C’est une toute petite forêt aménagée où les étudiants font leur jogging. J’y suis allée plus tard que d’habitude, il devait être 16 heures, et la lumière commençait à décliner. J’ai garé la voiture non loin de la cité universitaire et j’ai commencé mon parcours en trottinant. Je ne vais jamais très vite, l’âge je crois. Au bout de dix minutes de foulées poussives, je me suis retrouvée au cœur du petit bois et c’est à ce moment là que j’ai entendu un bruit suspect derrière moi, comme des feuillages qu’on aurait ouverts brutalement. Je me suis retournée et je l’ai vu, l’homme nu. J’ai poussé un hurlement et j’ai immédiatement détalé. Plus j’accélérais, plus le type accélérait, j’entendais presque ses pas derrière les miens. J’avais le souffle court et je sentais que ma cheville droite allait flancher ; ma dernière heure était venue. Je n’osais pas me retourner. Soudain, le type s’est mis à pousser des cris de bêtes, de plus en plus fort ; mon cœur allait lâcher, c’était sûr, je ne pourrais pas tenir jusqu’à la route. Et c’est à ce moment là que j’ai pensé à ma bombe. J’ai brusquement pilé, j’ai fait volte face, j’ai poussé un cri à déchirer les tympans d’un sourd et je lui ai envoyé un coup de bombe lacrymogène dans la gueule. Quand j’ai vu le visage du type, le ciel m’est tombé sur la tête : c’était mon patron. Nu comme un ver, il s’agitait de façon démoniaque et déversait un flot d’injures à mon égard. Sous l’effet de la surprise, je n’ai pas su quoi dire à part :
- Mais… mais qu’est-ce que vous faites là dans cette tenue ?
- Qu’est-ce que ça peut vous foutre, a-t-il réussi à articuler, allez plutôt me chercher une couverture ou je vous fous à la porte de la boîte.
Je n’ai pas demandé mon reste, j’ai couru jusqu’à la voiture, j’ai sorti la vieille couverture léopard que je garde toujours au cas où, et je la lui ai rapportée au pas de course. Il a enroulé son corps transi dedans et m’a dit d’un ton qui n’admettait aucune réplique :
- Et pas un mot au travail ou je vous fous dehors !
J’ai failli pouffer de rire en voyant le tableau pitoyable qu’il offrait, mais j’ai réussi à me contenir et je l’ai assuré qu’il pouvait compter sur ma discrétion. Seulement maintenant, à chaque fois que je le croise dans son costume trois pièces qui tombe impeccablement, je ne peux m’empêcher de le revoir nu, enveloppé dans ma couverture léopard, et je me demande toujours ce qu’il faisait dans le bois, nu, à cette heure de l’après midi…