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Presquevoix...
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31 août 2008

L’uniforme

L’uniforme m’efface*, c’est pour ça que je le garde, même le soir ! Enfin, le soir, c’est ma femme qui me  demande de le garder, juste les soirs où elle a envie, parce que mon uniforme l’excite. Alors je lui fais l’amour en « pilote de ligne », elle préfère mon uniforme à ma peau. Je pourrais refuser… mais non, je le garde.
Quand je le porte, on me remarque, les femmes surtout, même les plus belles. On me traite avec déférence, on me sert le premier et pourtant, comme le dirait ma femme quand je suis en civil : « Tu es d’un fade ! ».
L’uniforme me transforme, avec lui je suis plus vivant, plus intelligent, plus drôle, plus spirituel. Je fais même preuve d’initiative ! Toutes choses qui s’envolent quand je le retire. Comme le dirait ma femme quand elle perd patience : « Tu es d’un terne ! »
Parfois je me demande comment j’ai pu vivre sans uniforme. Enfant je n’existais pas. Ma mère se plaignait de mes longs silences, mais quand je me décidais à parler, elle me faisait taire. Etudiant, j’étais discret, timide, toujours prêt à m’effacer devant l’autre.
Ma femme dit comme ma mère : « On ne sait jamais ce que tu penses ! ».
Un jour, quand je n’aurai plus d’uniforme, je  disparaîtrai. Où ? je ne sais pas, mais un pilote n’a plus besoin de carte après tant d’années d’expérience.

* phrase extraite du livre d’Edouard LevéSuicide

30 août 2008

Pourquoi écrire ?

clarice_lispector"Enquanto tiver perguntas e não houver respostas, continuarei a escrever. "

ou, traduit par mes bons soins :

"Tant que j’aurai des questions et qu'il n'y aura pas de réponses, je continuerai à écrire. "

Clarisse Lispector, écrivain brésilien, (1920 – 1977), tiré du livre «  Felicidade Clandestina », écrit en 1971

* photo vue ici

29 août 2008

Les autres…

Elle disait souvent.
- De toutes façons, les gens n’ont jamais rien à dire.
Mais elle oubliait qu’elle parlait tellement et qu’elle écoutait si peu, que ses interlocuteurs préféraient rester silencieux.
Elle ajoutait parfois.
- Que les gens sont médiocres !
Elle oubliait que la conscience qu’elle avait de sa supposée supériorité rendait tout un chacun terne et neutre, presque voué à la transparence.
De temps en temps, elle complétait.
- Les Français sont minables, ils devraient être mis sous tutelle !
Si elle avait été anglaise, les anglais  auraient été tout aussi minables, mais elle  était française, et ne participait bien sûr pas de cette médiocrité qui frappait la France.
Apparemment, elle semblait heureuse, parlait avec bonhomie à ceux qu’elle croisait - parce qu’on a toujours besoin des autres, au fond, et elle le savait - mais jamais trop longtemps ; trop connaître l’autre ne pouvait apporter que déconvenue et ennui. La rapidité des échanges, pensait-elle, leur donnait une  couche de vernis que la longueur leur retirait aussitôt.

28 août 2008

Travailler ! Hein ? Quoi ?

Rentrer, c’est mourir un peu, en toute heure et en tout lieu… et c’est souvent – sauf pour les chômeurs, les rentiers ou ceux qui ont fait un autre choix – travailler ! En d’autres temps, certains égrenaient : travailler, c’est trop dur et voler c’est pas beau, d’mander la charité…. 
Dans la chanson Kouté moué moué, le groupe Vin’s and the Zoufris maracas, à  complet contre-courant des dogmes économiques en vigueur, nous susurre  sa subversive sagesse, loin de la croissance, du pouvoir d’achat et des retraites :

Je suis content d’avoir compris
qu’avec tout le pognon du monde
On ne rachète pas les années
que le travail nous a volées
On ne rachète pas les années
qui nous sont passées sous le nez.

Ecoutez leur disque, il y a chez eux de la subversion, de l’humour, un zeste de Salvador… et des mélodies qu’on continue de fredonner pour le plaisir…

PS : Comme le disait Alphone Allais « Quand on ne travaillera plus les lendemains des jours de repos, la fatigue sera vaincue. » CQFD !

27 août 2008

Besoin d'un mec qui assure

divers_printemps__t__08_015
- Tu vois, moi j’ai besoin d’un mec qui assure, c’est devenu vital, tu peux comprendre ça ?
Il ne répond rien. Ils continuent à avancer le long de la berge. La rivière est si tranquille, si belle, les oiseaux chantent à tue-tête, le soleil voit ses rayons filtrés à travers les feuilles des arbres, cela ne peut être qu’un jour béni, faste et pourtant.
- Je suis arrivée à un âge où j’ai besoin de pouvoir compter sur mon compagnon, pouvoir partager mes joies, mes peines, mes envies, mes soucis. Tu n’es jamais là, tu as ton travail, là tu assures, c’est correct mais avec moi tu fuis, tu te dérobes, tu te soustrais. J’ai envie de partager tes nuits, te soigner quand tu es malade, te concocter de bons petits plats sachant que tu vas rentrer. Je n’ai pas besoin d’un courant d’air, d’un homme qui esquive les conversations dès qu’elles dérivent vers nos sentiments.
- Nous avons toujours été clairs sur notre façon de vivre, chacun chez soi et les rencontres pour les bons moments, pourquoi cela doit-il changer ?
- Parce que ce genre de vie est correct au début d’une relation mais j’ai 35 ans, je veux un enfant, je veux fonder une famille, mon horloge biologique tourne et bientôt devenir mère ne me sera plus possible. Vous les mecs vous pouvez procréer alors que vous êtes des vieillards, pour nous les femmes, le couperet est sans appel.
- Tu veux des enfants, la famille, le mariage, la maison, la routine ? Mais c’est tout ce qu’il faut faire pour tuer l’amour ce genre de trucs.
Elle s’arrête et l’oblige à le regarder dans les yeux.
- L’amour ce n’est pas que les sorties, la fête, les vacances c’est aussi le partage de tout ce qui fait que la vie est géniale ou vache. La routine, on peut la tuer avant de la laisser éclore, l’amour évolue mais s’il est bien accompagné, il peut apporter au fil des ans d’autres sensations, plein d’émotions diverses.
- Ton discours est très beau, mais comment expliques-tu qu’un mariage sur deux finit en divorce ? Et j’ai une question : si je ne vais pas dans ton sens, tu me quittes ?
Elle ne répond pas tout de suite.
- Te sens-tu acculé ?
Il explose.
- Oui, je me sens acculé et je déteste ça. On avait une vie bien réglée, tout baignait et je pensais que cela nous convenait à tous les deux mais vous les femmes, il faut toujours que vous compliquiez les choses. Pourquoi vouloir changer ?
- Je pensais que mon argumentation était claire, ce n’est pas le cas, dommage. Si tu n’a rien compris à ma demande, restons-en là.
- Tu me quittes ?
- Non, c’est toi qui te défile.
Il lui prend le bras et la secoue.
- C’est du chantage que tu me fais !
Elle se dégage d’un mouvement brusque.
- Ne fiche pas tout en l’air, laisse-moi des souvenirs positifs de notre relation, on pourra rester amis ?
Il ricane.
- Et tu me présenteras ton mari et tes enfants, tu m’inviteras à partager le BBQ le dimanche soir, non merci !
Elle hausse les épaules et s’éloigne. Il la regarde partir, ses pensées vont dans tous les sens. « Ah ! les femmes, pourquoi sont-elles si belles, si désirables et si compliquées… »

27 août 2008

Le collectionneur

Sa passion : collectionner les collections. Il avait ainsi acquis les deux dernières collections du journal Le Monde : les grands philosophes et les grands cinéastes. Les DVD et les livres s’entassaient maintenant sur les étagères de sa chambre défiant l’ordre et l’entendement.
Le soir, il les contemplait et se disait qu’un jour, peut-être… mais ce jour n’était pas encore arrivé. Les grands philosophes gardaient pour l’instant le mystère de leur pensée à l’ombre de leur couverture et les cinéastes connaissaient le même sort.
Ce qui lui importait le plus, ce n’était sans doute pas la culture, mais la possibilité de la culture.

26 août 2008

Les chaussures ne mentent jamais

Elle passait son temps à observer les pieds des gens, au café, dans la rue, au travail, partout ! Elle s’était même dit, à un moment où son travail de bibliothécaire lui était devenu une torture, qu’elle pourrait écrire un livre humoristique dont le titre serait « Si les chaussures nous étaient contées » et où elle parlerait de toutes les chaussures rencontrées dans sa vie.
Les pieds qu’elle préférait observer, c’était ceux qui se croisaient sous les tables ; elle les trouvait doublement éloquents.
Quand elle s’était assise, en cette fin d’après midi maussade, dans ce café parisien hors des sentiers battus, elle attendait encore la perle rare, des chaussures qui la troubleraient, qui lui diraient que la vie valait encore la peine d’être observée.
Elle commanda un café et se plaça devant la porte, une place de choix pour raconter les  allées et venues des chaussures qui entraient et sortaient. Elle tournait la cuillère dans sa tasse de café  quand elles arrivèrent, deux chaussures semblables à deux péniches qui auraient transporté avec elles toute la boue de l’univers. On y distinguait à peine l’amarre des lacets. Elles s’avancèrent vers la table où elle était installée et s’arrêtèrent à un mètre d’elle.

- C’est ma table, dit grossièrement la voix des chaussures.
Elle leva  les yeux, mais les rabaissa aussitôt. Impossible de regarder un visage pareil. Non qu’il eût été laid, mais une barbe lui mangeait toute la surface et elle avait toujours détesté ces barbes dévorantes. Elle articula mécaniquement.
- Je n’ai pas fini.
Les péniches ne bougeaient pas.
- C’est ma table, répéta l’homme.
- Oui, mais je n’ai pas fini. Il y a des tables partout !
Le patron et les deux clients du café ne semblaient pas prêter attention à la scène. Elle continua à remuer le café dans sa tasse comme si de rien n’était, et soudain, sans qu’elle n’ait pu comprendre ce qui lui arrivait, elle se sentit soulevée dans sa chaise et transportée à une autre table, près de la vitre. Elle ne put que balbutier
- Mais…ça va pas !
- C’est votre table maintenant. Je vous apporte votre café.
Personne ne dit rien. L’homme aux péniches était maintenant assis face à la porte. Son grand tronc et sa face hirsute s’étaient immobilisés et son regard paraissait fixer le morceau de rue compris entre les deux battants. Elle but son café rapidement et alla payer au comptoir, décidée à dire son fait au patron.
- On appelle ça de la non assistance à personne en danger !
Le patron arrêta d’essuyer son verre et lui répondit.
- Qu’est-ce que vous vouliez que je fasse ? Que je lui casse la gueule ?
Elle le regarda interloquée.
- Vous auriez pu au moins lui dire quelque chose !
- Vous vous êtes assise à cette table avant que j’aie pu vous prévenir !
- Prévenir ? Mais de quoi ?
- Qu’il allait arriver. Il aime pas qu’on lui prenne sa table.
- Mais c’est vous le patron,  non ?
- C’est sa table.
- Alors il peut tout se permettre ?
- Ecoutez, c’est pas ma faute si son gosse s’est fait écraser devant cette porte, hein ?
Elle pâlit, paya ses deux euros et sortit.

25 août 2008

monologue malsain

« Il m’aime, un peu, beaucoup, pas du tout…le salaud ! Je le savais, je le savais, j’en avais l’intuition, déjà que hier, il est rentré plus tard, et la semaine passée, il était dans les nuages, j’ai dû lui répéter ma question, il n’avait pas écouté, il pensait à l’autre… »

Elisa se ronge les ongles, terrassée par le jeu de hasard qui lui donne une réponse à ses questions chaque jour. Elle commence toujours par vérifier l’amour de son homme avant de poser d’autres questions. Son humeur varie en fonction des réponses, c’est comme ça, elle n’y peut rien, c’est une routine, un besoin vital qui dicte sa vie.

« Il m’a dit qu’il avait une réunion qui pouvait se terminer plus tard que d’habitude mais les cartes ne mentent pas, il a rendez-vous avec une autre. L’excuse du travail c’est du bidon, pour m’endormir, mais je veille, je ne suis pas si bête, il aurait pu trouver mieux, plus innovateur…Et la salope qui drague mon homme, je vais la tuer, elle n’a pas le droit, il est à moi, rien qu’à moi et je ne partage pas, non, ça, jamais ».

Elle se lève et va se poster près de la fenêtre pour le guetter. Dehors, la nuit s’installe, l’éclairage public jette une lumière diffuse dans la rue que les trottoirs mouillés par une pluie battante renvoient comme des miroirs qui aimeraient à leur tour éclairer le ciel noir. Elle regarde sa montre, il est déjà 21h, il n’est jamais rentré si tard.

« Le salaud, le salaud, il est dans ses bras, ils s’embrassent, il parcourt son corps avec ses mains si douces, si chaudes…. » A cette évocation, elle ne peut s’empêcher de gémir en pensant à son corps à elle qui vibre dès qu’elle sent le désir percer à travers son regard, quand ses yeux la déshabillent, puis qu’il s’approche et pose une main sur sa poitrine, l’autre enlaçant sa taille. Elle défaille à chaque fois, ne pouvant résister à cet homme qui pourtant la trompe.

A cet instant le téléphone sonne. Toujours dans le noir, elle saisit le combiné et écoute. Au fur et à mesure que les secondes passent, ses épaules s’affaissent, son corps fléchit et telle une feuille d’automne qui se détache de l’arbre, elle tombe tout doucement sans un cri, sans une parole, lâchant le téléphone qui atterrit avec un bruit mat sur le tapis. La voix continue de parler doucement, lentement mais les mots qu’elle prononce sont terribles, si terribles qu’ils ont terrassé Elisa.

25 août 2008

Un texte a-t-il plusieurs lectures ?

« Un suffisant lecteur découvre souvent ès écrits d’autruy des perfections autres que celles que l’auteur y a mises et aperçues, et y preste des sens et des visages plus riches »

(Montaigne – Essais) (1533 1592 )

Le lecteur fait souvent l’école buissonnière, sans que personne, pas même l’auteur, ne puisse le priver de cette liberté...

24 août 2008

Le cadeau de vacances

coq_barcelos

Quand il était en vacances, il achetait toujours un cadeau à sa mère, souvent laid, exprès ; il ne pouvait  s’en empêcher. Non pas que sa mère ait été plus mauvaise mère qu’une autre, mais  il voulait l'encombrer, la gêner, allez savoir pourquoi !

Après 15 ans de vacances dans les endroits les plus divers, il  se souvenait de presque tous les cadeaux qu’il lui avait faits. Elle les avait acceptés sans se plaindre, et même l’avait à chaque fois gentiment remercié. Certains étaient d’ailleurs exposés, comme des trophées,  dans les différentes pièces de sa maison. Les sortait-elle de la cave lorsqu’il lui rendait visite trois fois par an ?

Le premier cadeau de la série, il l’avait acheté  en Espagne, à Malaga, ville hideuse s’il en est, hérissée d’immeubles, qui déroulait sa disgrâce le long de la côte sud. En se promenant dans la vieille ville,  il s’était  arrêté dans une boutique de souvenirs rafraîchie par un ventilateur qui tournait avec un bruit abominable. La ventilation aidant – il faisait 40 degrés à l’extérieur – il était resté 15 minutes dans la boutique et s’était presque cru obligé d’acheter un souvenir pour justifier une présence aussi longue : il opta pour une bouteille en forme de toréador que sa mère avait toujours dans son buffet depuis 10 ans.

Puis vinrent le phare bleu pétrole de Concarneau, les trois sets de table avec le coq de Barcelos, La petite lampe de chevet – sans doute le cadeau le plus laid – en  coquillages de Noirmoutier, l’assiette avec la basilique de Lisieux, Le bol de Paimpol avec son prénom – Jacqueline – peint en bleu, le rond de serviette – dont elle n’avait nul besoin puisqu’elle mangeait la plupart du temps en tête-à-tête avec elle-même – avec trois cigales roses, du Lavandou, le plateau avec les vaches normandes, d’Etretat, et il y en avait eu bien d’autres…

Son dernier cadeau – et c’était bien le seul qui ait eu cet effet-là – l’avait légèrement indisposée. Il l’avait remarqué à la petite crispation de sa mâchoire. Il lui avait acheté, à Majorque, un immense chapelet avec des grains si gros qu’ils avaient la taille de mirabelles. Sa mère avait juste dit.

- Merci Bertrand, c’est gentil de ta part, mais tu sais que je n’ai plus de place pour mettre tous tes cadeaux.
Il avait souri en concluant.
- Tu sais maman, ça me fait plaisir de te faire plaisir.

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