Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
9 décembre 2007

Le sous-sol du château

Elle venait d’arriver au château dont le guide du routard vantait la beauté, mais en fait de château, il n’y avait que des ruines dispersées dans une nature sauvage que le ciel devenu lourd rendait  inquiétantes. Il lui aurait fallu beaucoup d’imagination pour reconstituer la demeure telle qu’elle avait dû être au quatorzième siècle. Les quelques murailles crénelées aux murs délabrés ne lui suffisaient pas ; elle n’avait jamais eu aucune imagination, même enfant.

Une fois hors de sa voiture, son premier réflexe fut d’y remonter immédiatement ; les murailles étaient trop sombres, le lieu désert, et la pluie allait immanquablement tomber en confondant pierres, arbres et ciel sous son voile grisâtre. Elle détestait la pluie. Au moment où, la main sur la portière, elle allait imprimer une légère pression sur la poignée, elle entendit une voix d’homme qui la hélait.

– Eh mademoiselle… mademoiselle !

Elle se retourna presque à contrecœur. Plus tard, quand elle revit défiler les images de son arrivée au château, elle se rendit compte qu’à cet instant elle avait eu un pressentiment. L’homme était déjà près d’elle, un fil électrique blanc à la main,  lui souriant d’une façon encourageante bien que son visage exprimât autre chose.

– Ne partez pas, vous savez que vous pouvez visiter le sous-sol du château, c’est même la seule chose que vous devez visiter ici, l’informa-t-il. Ç’aurait été dommage de faire tout ce trajet pour rien !

Elle resta un instant silencieuse, hésitant entre froideur et sympathie, puis se laissa aller à la surprise de la rencontre, la première qu’elle faisait depuis le début de sa semaine passée à sillonner cette région austère oubliée des touristes.

– Je suppose que vous travaillez avec l’office du tourisme ?.

– Vous vous moquez de moi ? dit l’homme soudain tendu, mais il se reprit ; l’office de tourisme n’a rien à voir là dedans. D’ailleurs, il n’y a pas grand chose à dire sur le château, et puis vu son état... Je suis juste chargé de la restauration. Vous voyez ce fil ? Dit-il soudain en  agitant le fil qu’il tenait à la main sous son nez.

Elle  recula, surprise de le voir si près d’elle ; elle pouvait même apercevoir les gouttes de transpiration qui perlaient à son front.

– Je vous ai fait peur peut-être, s’excusa-t-il  gêné.

– Non, pas du tout, se défendit-elle.

– J’essaie d’installer un circuit électrique au sous-sol, et ce n’est pas une mince affaire. Mais si on allait voir ça sur place. Je vais chercher une torche, suivez-moi !

Elle n’aima pas son ton autoritaire mais elle lui emboîta le pas.

– Voilà, dit-il satisfait en brandissant sa lampe torche comme un trophée. Allons-y, je passe devant.

Elle remarqua qu’il boitait légèrement, et ce détail la gêna. Peut-être parce qu’elle revoyait dans ce dos qui marchait à grandes enjambées, Yves et sa claudication, Yves qui la menaçait en criant qu’elle ne comprenait rien à ce qu’il ressentait, une égoïste, comme les autres, qui ne pense qu’à sa tronche et à son petit bonheur de merde.

A mi-chemin de la muraille grise vers laquelle ils se dirigeaient, l’homme s’arrêta brusquement pour lui faire face.

– Je crois que je vous connais…

A nouveau le silence entre eux.

– Je ne crois pas, finit-elle par articuler. J’habite ailleurs, loin d’ici.

Elle se troubla et  tourna les yeux vers sa voiture, seule tâche rouge en bordure du champ vert sombre, mais il était trop tard pour faire marche arrière, elle aurait été ridicule.

– Dépêchons-nous ! Dit-il précipitamment, bientôt il va pleuvoir. On vous attend peut-être ? Et il insista sur le « attend » le regard fixé sur elle, tout en tordant son fil électrique dans ses mains.

– Non, personne ne m’attend.

Plus tard, en tâtonnant les murs suintant l’humidité, elle s’en voulut de lui avoir répondu ça.  Ils se remirent en route et une fois devant la porte de la cave, il lui conseilla de faire attention aux marches glissantes. Il sortit un gros trousseau de clefs de sa poche, choisit immédiatement la bonne, et la porte s’ouvrit. A ce moment là, elle aurait encore pu partir, courir, démarrer au volant de sa petite voiture rouge pour aller loin, mais elle n’en fit rien. Quelque chose la poussait à suivre l’homme qui boitait devant elle, comme si ses pas étaient les siens.

Dans la cave, il lui dit simplement.

– Vous n’avez pas peur ?

– Pourquoi aurais-je peur ? Répondit-elle simplement.

– Pour rien. L’atmosphère… vous ne me connaissez pas et puis on est dans un endroit désert…

– Si on devait avoir peur de tous les gens qu’on ne connaît pas !

Pendant qu’elle parlait, la torche de l’homme éclairait les parois et le sol jonché de matériaux de construction et de vieilles boîtes de conserve. La lumière du jour arrivait à filtrer malgré tout et, en levant ses yeux vers le ciel où des corbeaux faisaient entendre leurs cris rauques, elle distingua une enfilade de cheminées semblant courir vers l’infini. Puis la torche s’éteignit. Elle hurla en sentant une main lui toucher l’épaule.

– Vous semblez sur les nerfs, lui souffla-t-il en lui effleurant les cheveux.

– Rallumez votre torche immédiatement  !

– Allez-y, criez, faites-vous les poumons, vous ne serez pas la première ! La pile est usée, je n’y peux rien !  Il suffit que vos yeux s’habituent à l’obscurité. A mon avis vous êtes à cran ma jeune dame. Moi aussi j’ai souffert d’un problème de nerfs, je me suis fait soigner et maintenant ça va mieux ; enfin c’est ce qu’on m’a dit à l’hôpital.

Maintenant, elle sentait sa main qui commençait à la caresser maladroitement, elle voulut se libérer d’un mouvement sec mais il avait déjà enserré son corps et le ligotait fermement. C’est ensuite qu’elle comprit qu’il devait souvent faire ces gestes.

– Détachez-moi, hurla-t-elle.

– Trop tard ! Si vous m’aviez laissé vous toucher sans rien dire, je vous aurais laissé partir après, mais maintenant, c’est trop tard.

– Qu’est-ce que vous voulez ?

Il ne répondit pas.

       – Qu’est-ce que vous voulez de moi ? Cria-t-elle.

– Rien, vous garder près de moi, venir vous voir de temps en temps, on pourra parler vous et moi. Vous verrez, je suis sûr qu’on s’entendra bien et après…

– Après quoi ? Pleura-t-elle.

– Après je ne sais pas. Je n’ai jamais pu rester longtemps avec la même. Au bout d’un moment elles me portent sur les nerfs et mes nerfs… ils sont fragiles. C’est le médecin qui l’a dit.

Elle se tut. Ils restèrent tous deux dans l’ombre, silencieux. L’humidité tenace pénétrait  la soie de son chemisier et commençait à lui glacer la poitrine. De temps à autre, elle sentait la main de l’homme qui lissait ses cheveux, mais elle ne criait plus, comme si elle avait accepté le destin qu’il lui avait choisi. Bien plus tard, alors qu’elle avait peut-être dû rester une demi-journée seule dans la cave, elle imagina qu’il devait aimer les cheveux longs, peut-être que sa mère aussi les portait longs, peut-être qu’il aurait voulu les lui toucher, enfant, le soir avant de s’endormir, mais qu’elle les lui refusait, qu’elle lui disait qu’il n’aurait jamais dû exister, qu’elle le détestait, qu’il aurait dû mourir.

L’homme partit après avoir vérifié ses liens et lui avoir dit qu’il reviendrait plus tard, qu’elle verrait qu’ils s’entendraient bien, qu’il ne lui voulait pas de mal, juste lui parler, comprendre, comprendre pourquoi elle avait crié au lieu de le laisser faire, pourquoi elles criaient toutes, pourquoi elles avaient peur de lui alors que lui, il voulait juste qu’on l’aime. Après son départ, elle s’assit et pleura sur le sol en terre battue.

A la fin de ce qu’elle pensa être son troisième jour de captivité - mais comment en être sûre, même si le jour succède à la nuit et la nuit au jour – alors qu’elle lui réclamait  de desserrer ses liens, il refusa : elle n’était pas la première à le lui demander. Par contre, il lui avait rapporté les fruits qu’elle désirait ; il resta de longues heures à parler, assis à côté d’elle, s’arrêtant de temps en temps pour caresser ses cheveux qu’il disait être doux comme la chair veloutée des cèpes qu’il cueillait dans les bois. Cette fois-là, quand il se leva, il lui dit comme en s’excusant.

-    C’est dommage,  mais ça ne peut pas durer.

- Qu’est-ce qui ne peut pas durer ?

- Vous. Je commence à m’attacher. Ce n’est pas bien.

- Mais justement, insista-t-elle, justement…

- Taisez-vous ! Vous êtes comme les autres, vous mentez pour sauver votre peau.

Elle préféra ne rien répondre. Une longue nuit  passa et le lendemain il parut plus calme. Alors qu’il lui tendait, à hauteur de sa bouche, un bol de lait qu’elle jappa comme un animal, elle  put voir ses yeux sombres et son visage pâle marqué de deux plis profonds, juste sous la raie de lumière qui descendait des cheminées ouvertes. Il lui annonça qu’il fallait qu’on la lave. Elle ne pouvait pas se présenter comme ça, comme une souillon ou alors qu’est-ce qu’on penserait d’elle et de lui ? Il s’activa pour les préparatifs ; la cuvette, l’eau, le savon, le gant… il avait pensé à tout. Elle ne dit rien et le laissa parler du parfum de lavande qu’il avait choisi spécialement pour elle, les autres n’en avaient pas  eu, elles ne le méritaient pas, mais elle, c’était autre chose, elle, il la connaissait depuis toujours. Il lui avait aussi apporté une robe achetée en ville, elle serait beaucoup plus belle dans cette robe bleue.

– Vous aimez le bleu j’espère ? La couleur de la vierge. Après, je vous brosserai les cheveux, vous devriez garder toujours vos cheveux détachés, vous ressemblez à une princesse… Vous ne dites rien ? Je comprends, vous êtes gênée ou alors, vous avez peur…Vous avez tort. Je ne vous veux pas de mal, je ne vous ai jamais voulu de mal, au contraire.

Quelques jours plus tard, au château, les travaux avaient pris une autre tournure et l’atmosphère avait changé. Une entreprise avait été appelée pour commencer le gros oeuvre de maçonnerie. Des échafaudages s’installaient et des hommes s’activaient à l’intérieur des murailles délabrées. On entendait des portes claquées, des ordres criés, des bruits de matériaux entrechoqués ; le chantier peu à peu prenait forme quand soudain, une voix hurla en ce début de matinée brumeuse.

- Il y a une fille qu’est morte ! Venez vite bon dieu ! Dans la cave !

D’autres voix se firent rapidement entendre autour de la première.

– Putain ! On dirait une chambre funéraire !

– Qu’est-ce que c’est que ce truc ! Et cette meuf en  bleue !

– On dirait la vierge !

– En attendant, elle est bien morte ta vierge !

– Ça fait combien de temps qu’elle est morte ?

– Quel est le cinglé qui a pu fait ça !

– Michel, prends mon portable dans la camionnette et appelle la police tout de suite !

– Putain, c’est morbide, quelle connerie !

– Il devait vraiment l’aimer ! Ajouta dans un souffle un homme qui tenait un fil électrique blanc à la main, mais personne ne l’entendit.

Commentaires
G
Je voulais dire, dans l'interprétation que nous faisons des choses...
Répondre
T
Mais qui est capable de se méfier d'une chose dont il n'est pas conscient :)
Répondre
G
Je dirais : méfions nous de notre inconscient...
Répondre
D
Belle histoire. Si on lui applique une lecture psychanalytique, elle me semble assez claire, le souterrain figurant, comme il se doit, l'inconscient...
Répondre
Presquevoix...
Newsletter
9 abonnés