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Presquevoix...
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9 septembre 2007

Les bottines vernies

chaussure

Elle voulait ces bottines-là, tout de suite, celles-là et aucunes autres ! Elle les avait vues au Soulier d’Argent. Elle imaginait ses pieds minuscules – il lui avait dit que ses pieds étaient charmants la dernière fois qu’elle l’avait rencontré chez les sœurs Desrien – chaussés de ces merveilleuses bottines vernies. Ne l’aimerait-il pas plus lorsqu’elle aurait ces bottines au pied ? Ne lui avouerait-il pas ce cœur qui ne battait que pour elle depuis leur première rencontre ? Mais se mariait-on avec une jeune femme par amour de ses pieds ? Son inexpérience ne lui permettait pas de répondre à cette question.
La dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était chez les sœurs Desrien - des amies de sa mère. Elle ne connaissait pas encore le lien de parenté qui unissait ce jeune homme au regard doux aux sœurs Desrien, mais elle comptait bien interroger sa mère.
C’était la quatrième fois qu’elle le voyait et  leur relation gagnait en intimité au fil des rencontres. La première fois - au salon de thé rue Ganterie - il s’était contenté de la regarder avec insistance ; la deuxième - lors du mariage de Roseline Bouvreuil - il s’était approché d’elle et lui avait frôlé la main en la complimentant sur sa robe de mousseline verte ; la troisième – à la réception du 14 juillet dans les jardins de l’hôtel de ville - il s’était arrangé pour se trouver derrière elle et il lui avait murmuré que sa coiffure lui allait à ravir ; et cette dernière fois, chez les sœurs Desrien,  il lui avait glissé à l’oreille, au moment où elles étaient allées préparer le thé dans la cuisine, qu’il n’avait jamais vu de pieds aussi charmants. Elle en avait été un peu surprise – parle-t-on ainsi de ses pieds à une femme ? – mais elle était très amoureuse et lui pardonnait cette familiarité, si tant est que cela en fût une.
Dès qu’elle entra chez elle, les bottines vernies furent au centre des conversations. Elle apprit, en questionnant adroitement sa mère, que le jeune homme qu’elle aimait était le fils de M. Beau, propriétaire du Soulier d’Argent, rue Rollon, et mari de l’une des cousines des sœurs Desrien.
Ce soir-là, lorsqu’elle délassa ses bottines blanches, elle ne put s’empêcher de laisser vagabonder son esprit… Elle s’imaginait poussant la porte du Soulier d’Argent, seule, sa silhouette gracieuse ondulant dans la jolie robe de mousseline verte qui mettait en valeur les reflets blonds de ses cheveux ; le jeune homme aux yeux doux la regarderait s’avancer vers lui, puis la ferait asseoir sur l’un des fauteuils aux coussins de velours sombre ; il lui demanderait en chuchotant quelles chaussures elle voulait voir, puis il s’agenouillerait devant elle, avec à la main la précieuse boîte à chaussures. Et, telle Cendrillon, elle lui laisserait chausser ses pieds ingénus qui épouseraient parfaitement la forme des bottines vernies…
N’y avait-il pas quelque chose de grisant – d’excitant même – à imaginer cet homme tenant délicatement son pied fin - le caressant peut-être ? – puis le brusquant légèrement afin qu’il pénètre dans la bottine qui lui siérait  si bien.
Ce soir-là, elle se retourna plusieurs fois dans son lit avant de s’endormir…

* Photo de Florence, vue sur le blog : http://rouen.blogs.com/

Commentaires
S
Ce joli texte sonne comme une petite boite à musique... J'aime assez le "si tant est que cela en fût une" :)
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Presquevoix...
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