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Presquevoix...
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1 juillet 2007

“Il ne faut jamais aller au-devant des choses qu'on redoute

Il ne faut jamais aller  au-devant des choses qu'on redoute* ma petite fille, si tu continues comme ça tu auras des problèmes et ne compte pas sur moi pour t’aider… ». Elle le connaissait bien cet adage entendu des milliers de fois, elle croyait d’ailleurs se souvenir très exactement de la première fois, seulement maintenant, il prenait tout son sens, alors qu’avant...
Il était minuit, il venait de l’appeler et avait dit qu’il voulait se foutre en l’air et que ce serait de sa faute. La première fois qu’elle l’avait rencontré, c’était au cinéma, il s’était assis au dernier rang, juste à côté d’elle – alors que plusieurs rangées étaient vides – puis l’obscurité s’était faite dans la salle et elle s’était surprise à guetter la respiration et les gestes de l’inconnu. Au moment du générique de fin, il n’avait pas manifesté l’intention de partir, mais il avait glissé son bras nu sous le sien et elle ne l’avait pas repoussé ; puis il lui avait pris sa main, qu’elle lui avait laissée et pour finir il lui avait déposé un baiser sur la joue, comme un enfant, alors que sa bouche  à elle attendait presque autre chose.
Avec lui elle avait toujours attendu autre chose…
Il venait de lui dire « j’ai une corde et je suis prêt à m’en servir, il me suffit de monter sur une chaise et hop, si je meurs, ça sera de ta faute ! ». Mille fois, il lui avait  juré qu’il allait changer, c’était promis, il allait arrêter ses conneries, il ne la harcèlerait plus, il n’y aurait plus ces fiascos répétés quand ils essayaient de faire l’amour ! Elle l’avait cru.
Après le cinéma, il l’avait emmenée dans un café minuscule où on servait du thé à la menthe dans de petits verres aux fils d’or incrustés. Il lui avait caressé les cheveux et lui avait murmuré les mille choses qu’une jeune femme, aussi timide qu’elle l’était alors, aime entendre d’un presque inconnu... ce hasard n’en était pas un,  oui, il l’avait attendue, elle, et juste elle, depuis si longtemps, elle était la seule qui lui avait jamais inspiré cet élan, il l’aimait déjà de façon éperdue… et, à la fin de la soirée, quand il l’avait enlacée sur le pont Arts après une longue promenade sous les étoiles, il lui avait glissé à l’oreille, « toi et moi, moi et toi, cet amour qui se fond dans le nid de ton ventre et d’où je ne reviendrai jamais  ! », avant de presser son corps contre le sien et de faire un geste qui l’avait intrigué, mais ce soir-là, elle n’y avait prêté qu’une attention distraite, car elle avait senti son sexe dur contre le sien. Dans ce temps suspendu, elle avait attendu vainement quelque chose qui ne viendrait que bien plus tard, mais qui ne fut jamais ce qu’elle avait espéré.
« Tu ne vois pas que si je me fous en l’air c’est à cause de toi, parce que tu ne m’aimes pas. Viens, ou alors tu l’auras sur la conscience » ! » Avait-il conclu. Il avait commencé à  la harceler 3 mois après leur première rencontre. Elle se souviendrait toujours de ces trois premiers mois de bonheur  où le gris devenait azur et où la pluie se transformait toujours en rosée sous la caresse de leur amour. Le matin, l’après midi, le soir, la nuit, elle ne pensait qu’à lui. Il aurait voulu qu’ils vivent ensemble, mais elle avait préféré attendre, une prudence qui lui venait de loin. 
C’est au début du quatrième mois qu’il avait changé. Il y avait eu ce geste – il se frappait la poitrine avec ses poings fermés  – qu’il faisait de plus en plus fréquemment en l’accompagnant de plaintes répétées « Tu ne m’aimes pas, tu ne m’aimes pas, montre-moi que tu m’aimes, il me faut des preuves ! » Il n’y avait jamais assez de preuves ! Elle aurait dû partir, mais elle ne l’avait  pas fait. Un jour, chez lui, elle avait vu cette ordonnance abandonnée sur la table du salon, il consultait un psychiatre et la longue  liste de médicaments l’avait surprise car elle ne le voyait jamais en prendre. 
A minuit et demi, le téléphone sonna à nouveau mais elle ne décrocha pas, déterminée, puis à une heure, à deux heures…mais à trois heures, n’y tenant plus, elle décrocha, c’était encore lui « Viens tout de suite ou je le fais ! », lui intima-t-il.
Elle ne dit rien, raccrocha et sortit précipitamment. Ne trouvant aucun taxi elle remonta le boulevard à pieds sans ce soucier du crachin qui transperçait son chandail léger. Ses pieds chaussés de ballerines ne lui permettaient pas d’aller très vite, elle était déjà partie depuis quinze minutes... Une fois devant la porte de l’appartement, elle se rendit compte qu’elle avait oublié la clef qu’il lui avait donnée. Elle frappa, il ne répondit pas, elle frappa à nouveau, rien, puis elle tambourina en criant « Ouvre-moi, je t’en supplie ! ». Elle entendit enfin la clef tourner dans la serrure. La première chose dont elle se souvint, plus tard, ce fut le visage souriant qu’il lui offrit. « Je savais que tu viendrais, alors tu m’aimes ! » balbutia-t-il le regard brillant ; il l’attira à elle et l’embrassa violemment. Elle savait que si elle franchissait le seuil, leurs corps s’enlaceraient à nouveau, qu’il lui murmurerait les mêmes promesses, les même mensonges et qu’il sangloterait à nouveau, épuisé de ne pouvoir lui donner ce qu’elle attendait.
Décidée, elle se dégagea brutalement de ses bras, descendit les cinq escaliers en courant, traversa la cour et lorsque le battant de la porte d’entrée se referma enfin derrière elle, elle entendit distinctement un hurlement suivi de ce qui semblait être la chute d’un corps sur le sol, pourtant elle ne s’arrêta pas et descendit la rue qui la menait vers le Boulevard St Michel.

* phrase extraite de Quadrille de Sacha Guitry

Commentaires
C
j'adore venir prendre chaque jour ma petite dose de lecture, ici<br /> ces textes sont...comment dire...terribles!
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