Peut-on être une Victime des mots ?
J’ai lu, il y trois jours, dans Libération, un article sur le procès qui a opposé Pierre Jourde* (auteur de Pays Perdu) à des habitants de ce village perdu qui l’ont agressé pensant s’être reconnus dans son livre.
L’un des habitants du village a dit au procès « Lui il est poète, mais nous on l’est pas, on sait pas s’exprimer comme lui. » Ces mots, dans leur simplicité rugueuse, m’ont émue – mais je réprouve totalement l’acte commis par ces villageois. Cette phrase ne dénoncerait-elle pas l’injustice profonde que ressent celui qui pense ne pas savoir se servir des mots, mots volatiles qui lui échappent à chaque fois qu’il essaie de les emprisonner dans des phrases qui l'aideraient à construire sa pensée…
Notre véritable source de liberté ne réside-t-elle pas, d’abord et avant tout, dans notre capacité à faire nôtres des mots qui nous permettront ensuite d’élaborer nos discours, précieux remparts contre la soumission ; soumission à l’homme qui, a tôt fait d’asservir l’homme, son semblable, et de le considérer comme une marchandise ou un bien qu’il s’appropriera parce que la société le tolère.
Penser, ce peut-être aussi penser à côté, parce que les mots sont le meilleur moyen d’éventrer les idées reçues qui tuent l’homme avant même qu’il ne naisse.
* Pierre Jourde est aussi l’auteur d’un livre féroce sur la littérature contemporaine « la littérature sans estomac »