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Presquevoix...
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23 juin 2007

Tu mens et en plus ça t'arrange !

voleur_de_r_ve

Mentir. Il savait décidément mentir avec toute la subtilité et toute la finesse propre à son sexe, pensait-elle, ce n’était pas un hasard si le mot mensonge était de sexe masculin. Le mensonge était dans la nature de l’homme, comme le pardon dans celle de la femme. Autrefois, elle prenait pour argent comptant tout ce qu’il lui disait mais maintenant, il ne fallait plus lui en conter, elle passait tout au crible de la vérification systématique. Et si  elle n’avait pas le temps de mener son enquête, elle le laissait dire mais secouait la tête, comme pour lui signifier qu’il ne trompait personne avec ses mensonges, et surtout pas elle !
- Tu mens et en plus ça t’arrange ! lui répondait-elle souvent. Il la toisait, essayait bien une remarque, mais elle tenait bon.
– Tu mens et en plus ça t’arrange !
  Il ne lui restait plus qu’à battre en retraite, la plaignant de sa petitesse d’esprit qui l’obligeait à vivre dans la réalité, rétrécissant la vie, dont le seul mérite avérée était, selon lui, la capacité que chacun avait à la rêver plutôt qu’à la vivre.
– Tu ne penses qu’au matériel ! Se lamentait-il.
Elle était invivable ! Heureusement qu’ il avait ses rêves, les vrais, ceux qu’il faisait la nuit, mais même ses  rêves, elle ne voulait pas les croire. Elle lui disait :
– Tu veux te rendre intéressant, c’est ça ? Me démontrer par A + B que tes rêves sont plus beaux que les miens !
–  Qu’est-ce que tu me chantes encore !
– Tu mens et en plus ça t’arrange ! S’énervait-elle. Même tes rêves sont faux !
Elle avait raison de lui dire que ses rêves étaient beaux, mais tort de lui dire qu’ils les inventaient. Il les rêvait vraiment. Le fait qu’elle ne le croie pas leur retirait pourtant, petit à petit, l’innocence de leur beauté première. Peut-être le savait-elle et continuait-elle à soutenir qu’il mentait pour lui faire de la peine, par envie. Ses rêves étaient lumineux, colorés et même parfois, il y entendait de la musique : Beethoven, Schubert, Lizt et plus rarement Mahler. Par contre elle, quand elle se souvenait de ses rêves,  paysages et personnages déroulaient leur requiem en noir et blanc, sans fantaisie ni musique !
Il se souvint que dans son dernier rêve, il descendait un large fleuve sur une embarcation à voiles blanches. Lui-même était revêtu d’une toge blanche légèrement gonflée par le vent, et le soleil brillait dans un ciel bleu. Il aurait voulu être l’homme du rêve : beau, léger, vaporeux ; mais avec elle il se sentait laid, pesant, poisseux. Que faire pour devenir ce que l’on est ? Il se sentait autre, et pour vivre définitivement sa vie rêvée, il décida naïvement de ne plus se réveiller : il se consacrerait désormais tout entier à ses rêves.
Le lendemain matin, lorsque sa femme partit au travail, il dormait toujours et elle ne le réveilla pas. Le soir, à son retour, elle l’appela mais aucune réponse ne lui parvint. En entrant dans la chambre, elle le vit encore allongé sur le lit, le visage reposé, et ce mot, laissé en évidence sur sa poitrine : « J’ai décidé de ne plus me réveiller pour vivre mes rêves. Sache que je ne t’ai jamais menti ! ».
– Tu mens, et en plus ça t’arrange ! Dit-t-elle énervée, je suis sûre que tu es en train de dormir, tu vas voir ! 
Décidée à lui prouver que la vie n’était pas un mensonge permanent, elle le secoua fermement, puis de plus en plus fort, jusqu’à faire ballotter sa tête de droite et de gauche, mais rien n’y fit. Elle sanglota nerveusement puis dit désemparée.
– Tu es mort et en plus ça t’arrange ! Et moi, tu y as pensé à moi ?

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