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Presquevoix...
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10 avril 2007

Rupture

Il entra dans l’église l’esprit préoccupé ; depuis quelques jours il n’arrivait plus à faire cesser ce tic qui l’obligeait à soulever son épaule droite et à la ramener près de sa tête, comme si elle était animée d’une vie propre. Une seule chose le rendait heureux, savoir qu’il l’avait mouchée, cette hystérique, en lui disant que lui, représentait les « honnêtes gens », et qu’elle et son parti avaient perdu « tout sens moral ». Il ne l’avait pas loupée !
Aujourd’hui, peut-être allait-il enfin pouvoir communier le cœur en paix. Le dimanche précédent,  sous l’effet du médicament que le médecin lui avait prescrit afin de supporter les longues heures, debout à la tribune, à haranguer la foule, il avait à peine pu prendre l’hostie dans ses mains tremblantes.
Assis entre sa femme et  son fils, il suivait l’office distraitement, ne se rendant pas même compte qu’il fredonnait les cantiques à contretemps – sa femme lui adressa d’ailleurs un regard sévère. Il n’écoutait que très approximativement le discours du curé, une longue purge écœurante qu’il devait supporter chaque dimanche. Comment celui-ci voulait-il remplir son église avec cette voix monocorde et cette présence fantomatique !  Il faudrait vraiment qu’il lui conseille son  communiquant qui faisait des miracles ! Les choses étaient d’ailleurs très simples : avait-il, oui ou non, pour ambition de faire de son église le nouveau centre de la foi ?
Sa femme le poussa à nouveau du coude et il sut que le moment était venu pour lui d’aller communier. Il la suivit dans l’allée centrale, les yeux baissés, s’agenouilla avec les autres fidèles devant le curé et reçut l’hostie consacrée, en faisant  d’une main un trône pour que son autre main soit "prête à recevoir le Roi", selon la formule solennelle de saint Cyrille de Jérusalem. 
Il ne comprit pas pourquoi, après avoir pris l’hostie, il la rompit, sans aucun doute un geste désespéré dû à la fatigue ! L’hostie ainsi brisée laissa couler un petit filet de sang sombre qui se transforma peu à peu en un flux bouillonnant au-dessus duquel apparut, monumental, le Christ revêtu d’un simple linge blanc ceint autour de la taille. Quand le Christ se mit à parler, l’église résonna de sa voix ferme mais miséricordieuse.
Il s’adressa à lui en ces termes :  «  Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l´œil de ton frère, et n´aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l´œil de ton frère. ». C’est à ce moment-là qu’il s’évanouit et il ne sut ce qui se passa ensuite que par ce qu'on lui rapporta…
Maintenant, étendu sur son lit en fer,  seul dans la cellule qu’il occupe depuis un mois, il écoute le silence. Il sait que dans peu de temps les laudes vont sonner, qu’il lui faudra se lever pour la première prière, et qu’ensuite le silence ne sera rompu qu’à sept heures, avec le bruit des pas des moines dans les allées dallées qui mènent au réfectoire… Il attend cette première prière avec la même fébrilité qu’il attendait le pardon de sa mère lorsque, enfant, il commettait un petit forfait. L’air est légèrement humide, le parfum lourd du chèvrefeuille qui s’agrippe au mur arrive jusqu’à lui, maintenant il se sent vraiment en paix avec lui-même.

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