- Donc je me lève et je pars et nous ne nous verrons ni ne nous parlerons pendant deux ans et demi, c’est bien ce que tu veux ?
Elle hoche la tête, la bouche crispée, le regard mouillé mais résolu, les mains serrées sur son tablier. Petite femme en noir, courbée par des années de labeur, desséchée par le travail sous le soleil de ce pays où l’eau est aussi rare qu’une rose sur un caillou, elle hoche la tête.
L’homme se lève donc, prend le baluchon qu’elle lui a préparé, jette un dernier regard dans la pièce où il a vécu son enfance, pousse un soupir et sans un mot de plus, quitte sa mère. Elle ne bouge pas, n’a aucun geste vers lui. La coutume veut que les hommes de la famille partent à 20 ans courir le monde et chercher fortune ailleurs que dans ce pays de malheur. Certains en reviennent, un peu plus ou un peu moins pauvres qu’au départ, d’autres ne reviennent plus : heureux dans un monde meilleur ou perdus à tout jamais, personne ne le sait. Au village, on raconte des tas d’histoires : on dit que les Prada sont poursuivis par la disgrâce divine depuis qu’un des leurs, Rocco, a pillé l’église et volé la coupe en or qui contenait les hosties. Pour se racheter et retrouver leur place au paradis, les hommes partent chercher fortune pour payer leur dette. Maria connaît bien cette croyance, elle sait qu’elle est fausse mais elle se moque de ce que les autres pensent. Elle sait simplement que jour après jour, elle va penser à son fils, qu’il va hanter ses nuits et qu’elle ne revivra qu’à son retour. Elle se prépare à cette attente car il est dit que les choses doivent se passer ainsi, c’est tout !